Suite au génocide des Tutsi de 1994 au Rwanda, Martin, Alice, Françoise, Jean Baptiste … n’ont plus de parents. Pour tenter de combler ce vide et apporter des solutions, des veuves ont adopté des orphelins, des couples ont pris en charge des enfants nés de viols, des fratries sont nées. Des familles ont été recréées.
Elles vivent en « umugudu » qui signifie initialement « agglomération ». Par extension, le terme désigne désormais les quartiers créés par l’État rwandais et les ONG pour accueillir les veuves et les orphelins du génocide des Tutsi de 1994. Comme à Kamonyi et Ndera, il s’agit parfois de véritables villages où plus d’une centaine de jeunes âgés de 14 à 24 ans sont regroupés en associations. Ils vivent pauvrement de quelques cultures de café, de manioc et de canne à sucre, se marient avec des survivants et vont à l’église le dimanche.
Beaucoup d’entre eux n’ont pas vu de psychologue depuis 15 ans. La seule façon de gérer une crise post-traumatique est d’enfermer l’adolescent dans une pièce jusqu’à épuisement. Aucun adulte n’est présent pour transmettre les connaissances de base, comme la cuisine ou l’éducation, pour négocier la dot au moment du mariage ou pour apprendre aux jeunes survivants à s’occuper d’un nouveau-né. Ces dernières années, des évangélistes, adventistes et pentecôtistes sont apparus et profitent de ce vide pour attirer les fidèles.
Umugudu de Ndera. Alice, Jean de Dieu, Didier, Martin, Cadette et Sandrine constituent une famille d’orphelins. Frère et sœur, leurs parents ont été tués durant le génocide. Ils ont d’abord été en orphelinat. Depuis quatre ans, ils vivent ensemble dans cette maison qui leur a été donnée. Outre cette pièce principale, elle ne comprend que deux chambres.
Kamonyi. Un village d’adolescents construit par une ONG, la SAF. La construction a été financée, mais ils ne possèdent pratiquement aucun meuble. Ces enfants ont échappé aux massacres soit parce qu’ils ont été cachés, soit parce que seuls, jeunes et en errance dans le pays, nul ne pouvait dire s’ils étaient hutus ou tutsis.
Cadette laisse filer le temps dans la cour de sa maison. Les mêmes jours passent les uns après les autres.
Le dimanche après la messe, les orphelins se retrouvent et organisent un repas. Un jeu basé sur la religion évangélique prend place dans l’après midi.
Eulade a perdu ses parents durant le génocide. Il tient une photographie de son baptême où figurent son père et le prêtre qui les a trahis. Il leur a offert protection dans son église et a laissé entrer les génocidaires lorsqu’ils sont arrivés. Eulade a retrouvé son frère par hasard dans un orphelinat. Ils vivent aujourd’hui dans la même maison de l’umugudu de Kamonyi.
Centre de l’umugudu de Ndera.
Une maison de l’umugudu de Ndera. Le Rwanda fait partie des dix pays les plus pauvre au monde. L’accès au minimum vital est encore un problème.
Nyirabazuugu est la veuve la plus pauvre de l’umugudu. Elle élève ses trois enfants en gagnant entre 500 à 1000 francs rwandais par jour (70 centimes à 1,20 euros).
Kamonyi. A côté de l’umugudu des orphelins se trouvent celui des veuves. Une d’entre-elles trie ici les haricots.
Dans la cour d’une des maisons de Kamonyi. Ici se déroule toutes les activités : on se lave, on y fait la cuisine, la vaisselle et on y cultive l’indodo, une plante vivrière. Tous les jours les adolescents mangent le même repas : de l’indodo bouilli avec de la pâte de manioc. Ce n’est pas comme cela que l’on cuisine cette plante. Le problème de la transmission se pose.
Le camp d’orphelins : une vingtaine de maisonnettes sont juxtaposées les unes à côté des autres. Ils vivent environ à quatre par habitation. L’ONG qui a construit le site n’a fourni que les murs. Quatre ans après, les pièces ne sont toujours pas meublées. Une sensation de vide est tangible.
Cette jeune fille traumatisée et non prise en charge écoute une radio qui lui a été donnée par les scouts. Une musique triste envahit la cour, puis la diffusion s’arrête. Alors, elle actionne la manivelle de la dynamo et la mélodie lancinante reprend.
Dans une cour de Ndera, Boy, trois ans, est le fils d’une orpheline, Alice. Pour cette génération, le problème de la transmission des principes éducatifs se pose plus que jamais. Les grands-parents ne sont plus là pour conseiller les jeunes pères et mères.
A Kamonyi, ils sont un peu plus de 70 orphelins et ne reçoivent le soutien d’absolument aucun adulte. Pour s’entraider, les orphelins ont constitués une association nommée « Imararungu » qui signifie « s’aimer ensemble pour se battre contre les problèmes ». Au centre, la présidente.
Jean Baptiste au dessus d’un des champs de café de l’association « Imararungu ». C’est un des moyens de subsistance qui leur ont été donné.
Dans un champ de canne à sucre, une femme travaille pour l’association « Imararungu ». Les récoltes doivent attendre car les prix du marché sont trop bas.
Les collines autour de Kamonyi.
Françoise, à gauche, est née à la suite d’un viol. Elle est séropositive. Son oncle, Simba, est un père exemplaire. Il l’a adoptée et prend soin d’elle comme de sa propre fille. Il lui a payé pendant des années le traitement antirétroviral (à présent gratuit) et continue à payer son école privée. Elle joue ici avec ses cousines.
Florence, 18 ans, vit à Kamonyi.
A l’Eglise Evangélique de Ndera, Jean de Dieu et Didier animent la messe en chantant. Cette religion est arrivée dans le district il y a environ deux ans. De nombreux rescapés se convertissent suite à l’attitude l’Eglise catholique durant le génocide.
Cadette est dans le chœur des orphelins. Ces chants constituent visiblement un exutoire aux traumatismes vécus. La mère de Cadette a été tuée alors qu’elle n’avait que trois mois. Elle dit s’en souvenir.
Pour convaincre de nouveaux adeptes, le pasteur évangéliste soutient l’idée que sur Terre aucun ami n’est fiable. La permanence et la confiance ne se trouvent qu’en Dieu. Pour lui, il n’y a pas d’homme supérieur à un autre. Il aime chacun également. Dieu est donc le seul apte à les protéger. Un tel discours entre évidemment en résonance avec le vécu des habitants de l’umugudu.
Des enfants qui n’ont pas connu le génocide prient.
A la fin du prêche, les adeptes donnent de l’argent à l’Eglise.
Le pasteur repart en grosse berline rutilante vers un autre lei de culte. C’est la seule voiture au milieu de ces collines.